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GEORGES


Hier, 14 Juillet 2019...c'était les 20 ans du décès de mon papa. Je dis mon papa et non " mon père " car il y a une nuance entre ces deux mots pour moi. Pour certain c'est une chance pour d'autre c'est un fardeau...pour moi, c'est ma vie et je l'accepte et j' y puise beaucoup de ma force.


Je le sentiment d'être née deux fois. J'ai eu une vie avant mes 3ans et demi et une après. Je vous dis 3 ans et demi sans en être sûre et certaine des années car justement cette vie-là je m'en souviens par flash, sensation, odeur, bruit, impression de déjà vu mais rien est vraiment clair, net et précis avant mon adoption.


Avant mes presque 10 ans, j'ai vécu beaucoup de choses et après aussi mais la différence entre les deux périodes c'est que j'étais une nouvelle fois orpheline. Avant cette décennie, je pensais que j'aurais plus de temps avant de l'être à nouveau. ( J’espérais avoir eu ma dose de mauvaises nouvelles et que le karma allait se montrer plus clément envers moi .) Le 14 juillet 1999, Mon papa Georges s'est endormi et ne s'est jamais réveillé. Après plusieurs années de lutte contre un cancer des os, ce dernier s'est généralisé et l'a emporté.


J'avais 9ans et demi et ses derniers jours de vie occupent encore régulièrement mes pensées. Lors de sa dernière nuit, nous avons parlé de ses rêves pour moi, de mes rêves, il m' a fait ses recommandations et ses mises en garde pour la suite. Le simple fait d'écrire la scène, me renvoie dans sa chambre, son bureau car oui ses derniers jours se sont passés dans son bureau où nous faisions nos devoirs, où il fumait sa pipe, se coupait son carré de chocolat pour goûter et où il annotait les disquettes pour clôturer sa journée de travail. Il est mort dans cette pièce qui était la sienne et la notre lorsqu'on venait l'interrompre dans ses recherches et ses rituels.


Mon papa s'appelle Georges (j'utilise le présent car il reste un peu de lui en chacune des personnes qu'il a côtoyé), il nous a quitté à 59 ans... le 25 juillet 1999, il aurait carrément pu soufflé sa 60ième bougie. J'ai eu ce qu'on appelle un " papa papy ". Il m'est souvent arrivé d’essuyer cette remarque lorsque je disais l'âge de mon papa à mes camarades ou lorsqu'il venait me chercher quelque part... " C'est ton grand-père" et je répondais vexée " Non, c'est mon papa ".


Je suis arrivée dans sa vie presque 7 ans avant son décès et j'ai eu le chance d'être sa fille durant 5 ans. Nous nous sommes rencontrés lorsque mon père biologique a décidé de m’abandonner. Mon père biologique a pris un jour contact avec Georges car il souhaitait se séparer de moi. Je suis née fin des années 80 et mon soudain handicap ( mes amputations ) avait du mal à passer dans la famille biologique (je dis " la " famille biologique car " ma " indique un notion de possession et je n'ai jamais ressenti le besoin de la posséder. Elle fait partie de mon histoire et je la respecte mais elle ne m'appartient pas). Je suis née en République Démocratique du Congo et à cette époque l'accompagnement d'un enfant handicapé du point de vue médicale et familiale était différent. Mon père biologique a fait comme il le sentait et m'a confié à Georges puisqu'il avait créé le 1er orphelinat pour enfants handicapés d’Afrique centrale.


Au départ, je n'étais pas sensée devenir la fille de Georges pourtant à force de s'apprivoiser...on s'est lié d'amitié. Puisque avant d'être mon papa, Georges a été mon ami. Avec mon papa on parlait beaucoup dès l’orphelinat, on a vite accroché. J'ai toujours aimé le taquiner, le lui lancer des défis, lui poser des questions sur sa vie, sur ses choix, ses projets, ses rêves, etc. Lorsque je dis que je n'étais pas sensée devenir sa fille. C'est parce qu'il avait déjà adopté ou pris sous tutelle plusieurs enfants. Qu'il avait dit à sa femme que c'était fini. Puis, il commençait à être âgé, il avait déjà 9 enfants dont encore 4 à élever avec sa seconde épouse.


L’histoire en a décidé autrement, il plaisantait souvent avec ça mais je n'ai jamais vraiment su si c'était l'H/histoire avec un grand " H " ou pas qui a scellé nos destins. Lui disait qu'il avait toujours su que je serai " sa fille" il a juste du convaincre " ma mère adoptive / son épouse " de ma venue, le génocide des Tutsis au Rwanda a évidemment accéléré les choses.


Une chose est sûre c'est que le 14 avril 1994, j'ai atterri à Bruxelles - Zaventem et suis devenue la fille de George & de Jeanne. Il y a des photos biens pourries qui nous le rappellent. C'est la première fois que je parle mon adoption et de mon papa publiquement.


Pendant de nombreuses années, j'évitais de parler de lui. En général, de nombreux copain.e.s ou connaissances ne savaient pas que j'étais orpheline. Beaucoup ne savez même pas quelle tête il avait. En parler rendait ma perte réelle et que dire à une petite fille qui a perdu son papa. Moi-même, il m'a fallu du temps pour comprendre ce que ça impliquait ou représentait le fait de ne plus avoir de papa. Ce n'est pas qu'une histoire de filiation ou de cadeau de fête des papas. C'est personnel, nous avons été nombreux à avoir le même papa pourtant sa disparition a été vécue différemment, car chacun.e a dû faire le deuil de sa relation paternelle.


C'est des conseils que tu cherches, des albums photos que tu aurais adoré terminer pourtant c'était tout le temps lui qui prenait les photos alors tu te dis " Mince, j'aurais dû plus souvent lui tirer le portrait. " . C'est des blagues que tu voudrais refaire ou peaufiner. C'est des retours d'école que tu voudrais repartager et des ruines que tu voudrais revisiter (activité que nous faisions souvent en famille visiter des ruines & vieux châteaux en Belgique & en France).


Dire qu'il était mort, me donnait le sentiment de perdre mes souvenirs de lui et avec lui. J'ai presque 30 ans et je suis orpheline depuis 20 ans. J'ai connu mon papa durant presque 7 ans. C'est fou comme 6 ans et demi peuvent changer une vie en tout cas ce temps m'a permis de voir comment une personne inconnue avec aucun lien de sang peut devenir ton ami, ta famille et te donner enfin une famille...ta famille.




J'ai été adopté par un homme vieux qui ressentait le besoin d'une dernière fois " faire le job " car c'est un job de dingue d'être parent. Ce n'est pas qu'une histoire de prénom et de nom puisque comme je vous l'ai dit en début d'article je suis née...une seconde fois, le 14 avril 1994. Je me suis appelée Marianne et non plus Colette. J'ai changé de nom de famille, d'ailleurs je l'aime mon nom de famille de fille adoptée en plus il est plus facile à écrire que le biologique ( tout en gardant une carte officielle avec mon nom biologique dans ma boite à souvenir, c'est important de garder une preuve de ce démarrage particulier).


Hier, ça a fait 20 ans qu'il nous a quitté mes sœurs, mes frères, sa femme, ma tante, mes cousines, mes cousins, mes nièces, mes neveux, son meilleur ami, ses proches et moi. Mon papa était un homme qui savait ce qu'il voulait et faisait ce qu'il voulait. Il vivait à 100 à l'heure et aimait être papa mais pas que. Il bougeait beaucoup, était souvent absent entre son travail pour nourrir une famille nombreuse, ses orphelinats à gérer, ses livres à écrire et les diverses associations où il était actif. Je me demande souvent comment il faisait pour avoir autant de vies en une.


Lorsqu'il était là, nous partions en vacances dans une camionnette souvent dans le Sud de la France dans Périgord et une fois en Espagne avant qu'il ne tombe malade. Nous visitions des musées, des expositions et des ruines en Belgique ou à l'étranger...mon intérêt pour l'art me vient de là. Nous faisions des jeux de société car il n'aimait pas la TV sauf le JT et les Simpson.


Je pense que le fait d'avoir eu un " papa papy " m'a donné la possibilité d'avoir surtout un papa. Après sa mort j'ai eu tendance à fort l'idéaliser car c'est connu " Celui qui part a toujours raison ". Maintenant que je suis adulte, je parviens à le voir avec plus de nuances. Ce que je retiens de ces années de vie avec lui physiquement ( car personnellement, je parle plus facilement de son absence car je sais qu'il est encore avec moi autrement ); du coup ce que je retiens de cette vie avec lui : C'est qu'il m'a énormément aidé à voir mes amputations comme mes forces, c'est quelqu'un qui m'a aidé à réaliser que j'étais quelqu'un et que je méritais qu'on m'aime ( enfant abandonné ou pas, je suis quelqu'un), il m'a appris soigner mes pieds parfaitement, prendre du recul face à mes opérations et l'évolution de mes membres amputés. Je pense qu'il a souvent eu peur pour moi mais il ne me le montrait pas. Ce qu'il me montrait lorsqu'il me faisait mes pansements c'est que ça allait s'arranger et que je pouvais faire ce que je voulais quoiqu'il arrive.



Il y a pleins de choses que je pourrais vous écrire à propos de lui mais je ne pense pas que vous soyez mes psy...et je pense qu'il est temps de clôturer cet article. Je voulais juste par le biais de cet article marquer le coup pour ces 20ans de disparition et aborder un sujet que je souhaiterais approfondir sur le blog....c'est l'adoption. Alors MERCI d'avoir pris le temps de lire mon pavé d'amour à mon papa et je vous dis à très bientôt pour de nouvelles aventures. Si vous avez des questions en rapport à l'adoption, n'hésitez pas à les partager en commentaire et elles m'aideront sûrement à mettre en forme les prochains articles à ce sujet.


J'envoie aussi pleins d'amour à mes proches qui ont aussi connu et vécu avec notre papa. Je pense à vous qui lisez ce texte qui avez également perdu un ou des proches. Je vous envoie tout mon soutien, le deuil est comme une étape de vie avec laquelle on vit ou fait avec sans cesse. Certaines périodes sont plus difficiles que d'autres pour ma part c'est les naissances dans la famille qui sont les plus difficiles à vivre pour moi car je me dis que notre papa n'a pas eu le temps de rencontrer ses petits êtres qui agrandissent notre famille. C'est la vie...c'est comme ça et je pense que mes sœurs transmettent sa présence comme elles peuvent.




Belle soirée à vous et à bientôt !

Marianne xxx


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