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KWIBUKA 28 - EPISODE 1

Nous sommes le 14 avril 2022 et il y a 28ans, j’atterrissais à Zaventem dans un avion affrété pour rapatrier les ressortissants belges vivants au Rwanda. La Belgique, les Casques bleus sont venus nous chercher à l’orphelinat « Umurinzi » qui signifie Érythrines (un arbre-fleur protecteur au sens propre et imagé) - situé dans l’Est du Pays – dans le Akarere qui signifie district de Ngoma, ancienne préfecture Kibungo.Le « nous » désigne les enfants adoptés par des parents belges…seuls ces enfants ont été rapatriés et donc sauvés de ce massacre.


Photo de mon tatouage fait il y a 10 ans pour marquer sur mon corps le nom de mon orphelinat " Umurinzi " par Lynn Vanwonterghem


Pour vous contextualiser, le génocide a commencé la nuit du 6 au 7 avril 1994 en réponse à l’assassinat du président Juvénal Habyarimana (président du Rwanda) et Cyprien Ntaryamira (président du Burundi) de retour de la signature des accords d’Arusha. Arusha est une ville du Nord de la Tanzanie et ces accords visent à mettre fin à la guerre civile rwandaise entre l’état rwandais par le biais de son armée et le Front Patriotique Rwandais présidé par Paul Kagame à l'époque. Le Front Patriotique Rwandais est un groupe politique et armé composé de personnes rwandaises exilées tutsies et hutus opposant.e.s. Iels sont réfugié.e.s dans les pays limitrophes : Burundi, République Démocratique du Congo, Ouganda suite à plusieurs vagues de massacres et assassinats qui démarrent dès novembre 1959, en 1963-64, en 1973 et en 1990. La guerre civile débutée en octobre 1990 par des offensives du FPR pour tenter de retourner au Rwanda par la force, car le parti du président Juvénal Habyarimana (hutu) leur a toujours refusé leur retour au pays. Cette guerre civile précède et encourage le génocide.


J’avais 4ans et demi lorsque mon histoire personnelle s’est retrouvée dans l’Histoire. Cet article est surement décousu, je m’en excuse, mais je tente au mieux de synthétiser cette partie de l’Histoire rwandaise, mais pas que, car elle est aussi mondiale et collective. Et également liée à cette chronologie de personne adoptée qui est elle-même complexe et en pointillée puisqu'en constante construction. D’ailleurs, il y a deux jours, je suis allée voir ma tante pour lui offrir des fleurs…une manière de lui marquer mon soutien dans cette période difficile de recueillement, commémoration et rétrospective d’une période horrible, traumatisante de sa vie. C’est avec elle que j’ai pu discuter de ce génocide, son historique, sa complexité, de son propre traumatisme, de la chronologie de ces 100jours et de mon propre traumatisme. Elle a vécu tout le génocide et l’après, moi j’ai vécu la 1re semaine.


C’est pour cette raison que je lui dis que je me considère comme une rescapée et elle comme une survivante. J’ai des souvenirs de ce début d’horreur : la tension, le fait qu’on nous demandait vraiment d’être silencieux, des bruits, des odeurs, etc. Ma tante, elle l’a vécue durant les 100 jours.


Pour rappel, le génocide des tutsis du Rwanda a fait plus de 1.000.000 de morts et plus de 3.000.000 de blessé.e.s en 100jours soit 3 mois et 10 jours. Il faut aussi savoir que la moitié des assassinats soit 500.000 victimes ont été perpétrés lors des deux premières semaines soit entre le 07 et le 21 avril 1994.

C’est une des premières paroles de ma tante lors de ma visite, tu te rends compte aujourd’hui c’est le jour de l’assassinat de notre frère, nos parents c’était le 7avril et notre sœur c’était le 11 avril. J’emploie « nos, notre », car elles ne sont plus que deux de leur fratrie, ma mère adoptive et elle. Leurs parents, leur frère, leurs 3 sœurs ont été exécutés par les génocidaires avec la complicité de leur entourage (personnel de maison, voisin.e.s, etc.). De plus, l’une de leurs sœurs était la co-fondatrice de l’orphelinat « Umurinzi » et elle était notre maman d’accueil à tou.te.s. J'ai vécu plusieurs mois avec elle. Elle était censée venir avec nous, mais malheureusement les génocidaires l’ont assassinée trois jours avant notre rapatriement avec les Casques bleus.



Le 14 avril me replonge dans cette histoire personnelle, familiale, rwandaise, belge et internationale.C’est une journée complexe pour moi, car j’ai à la fois.


> Un énorme sentiment de gratitude d’avoir été sauvée du génocide


> Un rappel plus vif de la cruauté humaine, comment des idéologies raciales, racistes conduisent à l’extermination de sa propre population par l’appareil d’état (armée nationale, milice armée par l’état, autorités locales, médias, institutions religieuses et sociales) et sa propre population.


> Une tristesse et de la peur car certaines images, impressions, odeurs, sensations de " déjà vu" sont plus présentes durant ce mois d'avril. Le reste de l'année, je peux avoir des piques de stress post-traumatiques un peu "plic ploc" mais en ce moment, je sens que c'est compliqué à faire avec.


> Une colère envers la Belgique, mon pays adoptif, la France et la communauté internationale d’avoir su et de n’avoir rien fait. Ce rappel du détachement que l’occident a envers les conflits qui concernent les personnes racisées. Comme si une vie n’était pas égale à une vie.


> Une envie de « vivre toujours plus » pour celleux qui ne sont plus là que je connaissais ou que j’aurais aimé connaitre et dont on me transmet leurs parcours et leurs mémoires à travers les diverses discussions que j’ai avec des personnes survivantes de ce génocide.


> Une certaine responsabilité de sensibiliser, agir comme je peux pour que ce fameux « Plus Jamais » soit conscient se fasse activement chez le plus de personnes possible, car il n’est toujours pas effectif à travers le monde. On le voit avec le peuple palestinien en Israël, les personnes ouïghoures en Chine et beaucoup d’autres peuples à travers le monde qui sont exterminés pour ce qu’iels sont. Ce sentiment de « devoir » de mémoire en tant que citoyenne rescapée m’est venu lorsque j’en parlais avec des ami.e.s en fin de secondaire parce que je réalisais qu’iels ne savaient vraiment pas grand-chose alors que la Belgique est impliquée dans ce génocide et cela me scandalisait qu’iels en sachent si peu. Puis dans nos cours on en parle si peu et si mal. Pour la petite histoire, j’étais en option histoire en 5e et 6e secondaire et c’est un sujet qui a à peine été évoqué. De manière très « extérieure » alors que le Rwanda comme la République Démocratique du Congo et le Burundi est un ancien pays colonisé par la Belgique. En plus, la Belgique de l’époque a énormément contribué à la ségrégation économique et sociale des hutus puis des tutsis, au fichage ethnique et raciste des rwandais.e.s poursuivit ensuite après le coup d’état conduit par les hutus qui mène à l’indépendance du pays par Grégoire Kayibanda.


Dernier rappel utile, je crois ensuite je vous laisse : « Sur base de la définition juridique établie par la résolution 230 de l’ONU du 9 décembre 1948, un génocide repose sur trois critères : 1) la destruction physique en totalité ou en partie, d’un groupe humain quel que soit l’adjectif dont l’assassin l’affuble pour le détruire, l’identité des victimes, tout membre de ce groupe est assassiné, quels que soient son âge ou son sexe, pour son appartenance au groupe.Il est tué pour ce qu’il est et non pour ce qu’il a fait.2) l’intention criminelle du meurtrier : le génocide relève d’un plan concerté.3) Pour que le crime soit absolu, on y ajoute sa négation universelle au moment même où il se déroule ».

Merci d'avoir pris le temps de me lire encore une fois et ceci est le premier article d'une série de contenu article, vidéo, audio que je souhaite vous partager entre avril et mi-juillet (tous les 15 jours) une manière personnelle de commémorer la mémoires des personnes fauchées par la barbaries de l'être humain. Ne voulant pas faire un seul et immense article, j'ai pensé qu'il serait plus intéressant et réaliste de vous partager plusieurs petits contenus qui expliquent divers aspects connus ou méconnus de cette partie de l'Histoire de l'humanité.


Je vous dis à bientôt et n'hésitez pas à partager cet article si vous l'avez trouvé utile, merci d'avance d'amplifier la portée de mon travail !


Marianne


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